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La Chronique de Mariannick n°2

Tous les adolescents ne sont pas égaux devant les jeux vidéo, et tous les jeux ne se valent pas, mais ils peuvent se révéler, selon Mariannick, un outil intéressant pour le jeune en construction. Elle nous explique…

Les adolescents passent un temps sur les écrans jugé toujours trop long par leurs parents. Lorsqu’il s’agit des jeux vidéo, le jugement parental (et de la société en général) est souvent négatif. A juste titre parfois. Mais les jeux vidéo sont-ils si dangereux ? Pour y répondre, notre psychologue Mariannick nous explique en quoi ils peuvent être utiles…

L’essentiel à retenir

Le jeu vidéo peut être un outil intéressant pour l’adolescent.e en construction. Il lui permet d’appréhender le monde, d’être en lien, de construire son identité, d’alimenter son narcissisme et de canaliser et symboliser ses affects. Mais tous les jeux ne se valent pas évidemment! Il s’agit d’y être vigilant car l’adolescent.e n’est pas encore suffisamment équipé psychiquement pour supporter un univers virtuel purement excitant qui ne permettrait pas ce travail constructif. Plus un jeu est narratif, raconte une histoire riche avec des nuances émotionnelles importantes, plus il sera intéressant pour ce travail d’élaboration symbolique. Aussi, les études notamment de Serge Tisseron montrent que tous les adolescent.e.s ne sont pas égaux devant les jeux vidéo. Bien sûr que les parents doivent cadrer l’usage des jeux vidéo, comme pour tout le reste. Regarder jouer son ado en lui demandant qu’il ou elle explique ce qui se passe est un bon début pour mieux connaître les jeux de son ado et son ado. Souvent l’imagination parentale est bien plus terrible que la réalité de ces mondes virtuels.

Le jeu vidéo est bien un jeu

Jouer est depuis la toute petite enfance un moyen d’apprendre, de comprendre et de ressentir. Le jeu aide à construire le monde qui nous entoure, à créer du lien avec l’autre, à gérer nos émotions, à mettre du sens sur la réalité, à résoudre des problèmes… Le jeu vidéo est bien un jeu. Et l’adolescent.e semble pouvoir y trouver des éléments intéressants et constructifs lui permettant de traverser la crise identitaire qu’il éprouve dans son corps et son psychisme.

Agenda : « Comment créer son jeu vidéo » le 24/03 à la Médiathèque d’Albi

Un atelier « coding club » est proposé pour apprendre les bases de la création d’un jeu vidéo. Cet atelier de 3h destiné aux 12/18 ans est animé par les étudiants de l’école informatique Epitech.

  • Inscription dans les médiathèques du Grand Albigeois ou au 05 63 76 06 10.
Une socialisation « numérique »

L’adolescent.e, petit à petit, s‘extraie du groupe familial pour investir le groupe de pairs. Il ou elle va y vivre tout un tas d’expériences qui l’aideront à se construire une identité propre en dehors du cercle familial afin de préparer la séparation nécessaire de l’âge adulte. L’adolescent.e a besoin de s’investir dans une socialisation active. Donc le jeu vidéo l’enfermant seul dans sa chambre ne serait pas positif de ce point de vue de la socialisation. Or les jeux vidéo, partagés entre les jeunes, sont devenus un objet de la culture adolescente, ils en parlent entre eux, s’invitent pour jouer et se retrouvent en réseau. Grâce à ce mode de jeu en ligne, les ados expérimentent une autre socialisation, une socialisation numérique certes où l’autre n’a pas toujours un visage, mais qui est bien réelle pour eux. L’ado ne se sent pas seul en jouant. Il participe activement à une vie collective, une vie sociale.

Attention de ne pas dénigrer en bloc

L’adolescence est un temps de crise identitaire. Le ou la jeune se cherche une identité propre. Là aussi, le jeu vidéo a un rôle intéressant. Le monde virtuel du jeu vidéo permet à l’adolescent.e de s’identifier à tout un tas de personnages divers et variés. Il peut explorer une multitude d’identités sur divers registres et les mettre en scène sans trop de risque. Dans le jeu, il porte alors un regard extérieur sur lui-même, ce qui participe à ce travail de savoir qui il est, qui il devient. De plus, le ou la jeune met en scène des personnages qui doivent réaliser des actions menées ou non à bien. Il s’agit de développer tout un tas de stratégie, de persévérer voire de recommencer. L’ado peut réussir, échouer, faire exprès d’échouer, réussir de différentes façons… C’est un terrain de jeu très intéressant pour le narcissisme adolescent qui souffre beaucoup dans cette période. Dans le jeu vidéo, l’ado peut par exemple se trouver des qualités nouvelles qui lui permettront d’alimenter positivement son narcissisme. L’on comprend alors comment dénigrer en bloc un jeu vidéo vient directement dénigrer l’identité fragile en construction de l’adolescent.e.

Le jeu extériorise leurs angoisses

Le jeu extériorise leurs angoisses
Enfin, l’adolescence est une période très sensible du point de vue des affects et des émotions. L’ado quitte le monde de l’enfance et se prépare à entrer dans le monde des adultes en passant par une phase pubertaire qui redéfinit son rapport à l’autre : la sexualité apparaît, dans le corps, psychiquement et dans la relation à l’autre. C’est en fait un long travail de séparation qui s’opère. De nouveaux besoins pulsionnels cherchent à s’exprimer, des angoisses émergent, une agressivité jaillit. Tout le travail de l’adolescent.e sera de canaliser, calmer, élaborer ses affects bouillonnants. Dans le jeu vidéo, « en choisissant tel ou tel héros, telle ou telle aventure, tel ou tel niveau de violence, les jeunes adolescents cherchent surtout à extérioriser leurs angoisses, que le jeu va actualiser et finalement dédramatiser », explique Benoît Virol, psychologue auteur de « Du bon usage des jeux vidéo et autres aventures virtuelles ». Le jeu vidéo, même violent permet de mettre en scène l’agressivité de façon symbolique. L’agressivité est nécessaire, c’est une énergie utile pour affronter la vie. Il s’agit d’aider l’ado à la gérer, ce que le jeu vidéo peut lui permettre. Dire à l’ado qu’il va devenir violent, ou déprimé, ou angoissé en jouant à ces jeux, c’est annuler le travail énorme qu’il est en train de faire pour essayer justement de gérer tous ses affects.

Le risque : l’isolement grave

Pour autant, les études notamment de Serge Tisseron montrent que tous les adolescent.e.s ne sont pas égaux devant les jeux vidéo. Si les premiers échanges dans la petite enfance et l’enfance, avec l’environnement (l’entourage familial, les autres et le monde) ont été satisfaisants, suffisamment bons, le ou la jeune utilisera les mondes virtuels comme une façon de rechercher des significations à tous les enjeux de l’adolescence.

Au contraire, il explique que « si son histoire précoce a été marquée par l’insécurité, des excitations insuffisantes ou inadaptées ou encore des frustrations narcissiques excessives, le risque est qu’il tente d’utiliser l’ordinateur comme un partenaire privilégié d’interactions ». Dans ce cas, le monde du jeune pourrait se réduire au monde du jeu, pouvant aller jusqu’à un isolement grave, où le jeu n’est même plus une source de satisfaction.

Bien sûr que les parents doivent cadrer l’usage des jeux vidéo, comme pour tout le reste. Le meilleur moyen pour les parents d’être entendus, c’est d’abord d’éviter l’interdiction ou le rejet massifs qui ne feront qu’enfler le conflit qui se joue de fait, à l’adolescence, dans l’opposition, et de chercher réellement et sincèrement à s’intéresser aux jeux de leur ado et à comprendre le sens qu’ils ont pour lui ou elle. Le regarder jouer en lui demandant qu’il ou elle explique ce qui se passe est un bon début pour mieux connaître les jeux de son ado et son ado. Souvent l’imagination parentale est bien plus terrible que la réalité de ces mondes virtuels.

Cette chronique vous est proposée par Mariannick Lottin.

Mariannick Lottin est psychologue de l’enfant et de l’adolescent à l’Hôpital du Bon Sauveur. Elle vient par ailleurs de créer une activité libérale spécialisée dans l’accompagnement à la parentalité sur Albi : « Les ateliers bébé zen ». Animatrice en baby yoga certifiée par Graine de massage, elle souhaite aider les parents et futurs parents à créer un lien précoce avec leur bébé et propose de nombreux ateliers parents-enfants (ateliersbebezen).

Crédit photos : Pexels