À quarante ans, elle a déjà vécu mille vies. Après avoir travaillé dans l’éducation populaire et élevé des brebis, elle est désormais journaliste à Radio R d’Autan, à Lavaur. Ses objectifs ? Raconter un monde rural tout en nuances et transmettre sa passion des ondes aux jeunes éloignés de la bande FM.
Quel est ton parcours Claire ?
Je viens d’un milieu rural très isolé dans les Deux-Sèvres, qui m’a un peu pesé lorsque j’étais petite. Au cours de ma prépa littéraire dans les années 2000, j’ai découvert l’altermondialisme, le forum social mondial de Porto Alegre, les actions de José Bové… La ruralité m’est alors apparue comme porteuse d’alternatives inspirantes. Par la suite, j’ai réalisé une maîtrise en géographie rurale et je suis partie en Bolivie, où j’ai étudié les pratiques des paysans cultivateurs de quinoa. À mon retour, j’ai travaillé dans l’éducation populaire, puis dans une association pour le développement de l’emploi rural, liée à la Confédération paysanne. J’ai ensuite suivi une formation pour adultes pour devenir agricultrice et j’ai élevé des brebis laitières dans une ferme collective du Tarn, deux années où je suis complètement sortie de ma zone de confort, moi qui étais si peu préparée aux activités manuelles ! La ferme, qui se trouve près de Graulhet, était une des bases arrière de la lutte contre le barrage de Sivens donc c’est une époque où j’ai tissé beaucoup de liens avec des réseaux militants et citoyens.
« Je me suis toujours préparée à devenir journaliste, c’était mon rêve d’enfance.”
À quel moment le journalisme est entré dans ta vie ?
En réalité, je me suis toujours préparée à être journaliste, c’était mon rêve d’enfance. D’ailleurs, j’ai toujours écrit pour des médias militants et associatifs. Mais en prépa lettres, je me suis dit que je ne voulais pas faire Sciences Po ni passer des concours, j’avais peur d’être censurée par les rédactions. Finalement, le journalisme m’a rattrapée. En 2017, j’ai eu une petite fille et j’ai eu besoin de revenir à ma zone de confort, c’est là que je suis devenue bénévole à R d’Autan. Au même moment, j’ai commencé à écrire pour la presse spécialisée agricole et j’ai réalisé mon premier documentaire radiophonique sur un groupe de rebetiko [forme d’expression musicale populaire en Grèce NDLR]. Ce dernier a été sélectionné dans un festival en Grèce, où je me suis rendue et où j’ai rencontré des tas de gens du monde de la radio. Peu de temps après, un poste s’est libéré à R d’Autan et j’ai été embauchée. On peut dire que la porte s’est ouverte.
Tu as produit un documentaire sur l’IVG en milieu rural et un autre sur les femmes paysannes, c’est important pour toi de mettre les femmes en lumière ?
Oui. Dans les deux documentaires, mon objectif était de donner à entendre ce qui nous est difficile. L’idée était de dire aux femmes : vous n’êtes pas toutes seules, si vous n’y arrivez pas, c’est que parfois des difficultés structurelles entravent votre route. Je voulais leur dire aussi que des solutions existent, qui, certes, ne marchent pas à tous les coups, mais permettent au moins d’avoir en tête des pistes inspirantes. Mon métier, je le vois comme ça : essayer de communiquer sur ces problématiques, en ayant toujours en tête la recherche d’une certaine esthétique. Car ainsi, les messages génèrent de l’empathie et sont potentiellement mieux entendus. L’émotion est là et il y a du plaisir à écouter.
Tu fais aussi de l’éducation aux médias dans le milieu scolaire mais aussi dans les MJC, dans les missions locales et même en prison et en EPHAD. Quelle est ta méthode ?
Dans la mesure du possible, j’essaie d’impulser des ateliers sous forme d’éducation culturelle et artistique. Bien sûr, je propose de les former au décryptage de l’information mais la théorie laisse vite place à la pratique. Ils se retrouvent en posture d’aller chercher de l’information eux-mêmes et de se poser la question : que mettre en avant ? À titre personnel, je ne suis pas sûre de croire à la neutralité journaliste, je pense qu’on est tous et toutes empreints de beaucoup de subjectivité. Ce qui importe c’est : avoir conscience de l’endroit d’où l’on parle, croiser les sources, mettre en place des garde-fous.
Concrètement, comment ça se passe ?
Souvent, ce sont des personnes éloignées de la bande FM. Je commence la plupart du temps par leur faire écouter ce que d’autres jeunes ont fait et ils adorent ça. Ensuite, quand ils commencent à pratiquer, il y a beaucoup de plaisir. Souvent, on monte des plateaux radios, parce que c’est vite opérationnel. La rencontre entre des jeunes et des adultes super investis dans leur métier est très belle. Ces ateliers peuvent donner un peu le goût de la radio, une porte ouverte pour aller partout.
Propos recueillis par Lou-Eve Popper
Quand l’écouter
Sur R d’Autan, Claire anime le magazine de la rédaction deux fois par semaine et produit également des émissions avec les partenariats scolaires. En septembre, on pourra également retrouver sur le site de la radio son documentaire « Colombie de l’extérieur, mémoire, exil, héritage ».
Émissions à podcaster : L’IVG en milieu rural, Radio R d’Autan, 49 mn / Femmes paysannes, de l’histoire individuelle aux enjeux collectifs, Radio R D’Autan, sept épisodes de 30 mn