Skip to main content

La Chronique de Mariannick n°5

Cette chronique vous fera changer de point de vue sur les doudous. Cet objet fétiche n’est d’abord pas forcément qu’un objet. Et le désarroi de l’enfant quand il le perd n’est pas qu’un caprice. Le doudou est un point de repère stable, une aide pour comprendre et gérer ses émotions, il représente aussi son parent dans la séparation.

Vers l’âge de 6 mois, après avoir joué avec son corps puis quelques objets, le bébé s’intéresse de façon plus marquée à un objet en particulier, qu’il va réclamer dans certaines situations : pour dormir, se consoler ou encore lorsqu’il va se retrouver sans ses parents.

On peut tous être d’accord sur un point : le doudou console et rassure. Dans une expérience nouvelle, déstabilisante, quand les repères habituels sont moins présents, quand l’adulte est moins disponible, le doudou a un rôle, un rôle essentiel même. Selon D. W. Winnicott, éminent pédiatre et psychanalyste de l’enfant du XXième siècle, le travail psychique du bébé consiste à se construire comme un être différencié, séparé de ses parents tout en se sentant relié à eux.

Le doudou a cette fonction de représenter son parent dans la séparation, un rôle de « coproduction de la relation mère-enfant » (ou parent-enfant). Il permet de faire la transition entre le Moi et les parents, le dedans et le dehors, le soi et le non soi, la séparation les retrouvailles, le présent et l’absent. Il est un point de repère stable qui permet à l’enfant d’intégrer ce qui est en train de se passer en réorganisant ses pensées et ressentis.

Une zone entre monde interne et monde externe

En caressant, tétant, serrant son doudou, le bébé se trouve dans ce que Winnicott appelle l’espace transitionnel, une zone entre deux, entre le monde interne au bébé et le monde externe. Dans cette zone, l’enfant cherche à faire coexister les deux, c’est à dire ses pensées, ressentis et son sentiment interne d’exister avec les expériences du monde qu’il doit pouvoir intégrer. Le monde interne et le monde externe doivent rester bien différenciés mais reliés. C’est un long processus sur plusieurs années.

Le doudou est très souvent un objet, rare sont les enfants qui n’en ont jamais eu dans notre monde occidental, mais cela peut aussi être une activité répétitive auto-centrée comme une caresse. On parle alors d’objet ou de phénomène transitionnel.

Un processus créatif

Si tout se passe bien, vers 3 ans, l’enfant aura cette assurance d’être relié à l’autre tout en s’en sentant différencié, il saura préserver son sentiment d’exister face aux expériences nouvelles de la vie qui viendront le déstabiliser. Grâce au doudou, le bébé entre dans cette zone entre deux, où s’active la rêverie, le monde imaginaire qui lui permet ce travail d’assimilation et d’intégration des expériences de la vie. C’est en fait un processus créatif que de chercher à relier le monde extérieur et intérieur. Le bébé invente et réinvente tous les jours comment se sentir exister dans ce monde, différencié mais relié aux autres.

Accéder à cette rêverie c’est permettre la création de tout un monde symbolique qui, en grandissant, aidera l’enfant à développer des capacités internes d’invention et de créativité et un monde de signification et de sens, essentiels pour appréhender la vie.

Respecter le doudou

Le doudou a un statut particulier pour l’enfant, et un rôle essentiel. Il est donc très important que le doudou soit respecté par les adultes. Il ne devrait jamais être utilisé à des fins de négociation ou de menace, ni de récompense. Le doudou n’est pas un caprice. Il doit rester accessible et ne doit pas être changé par l’adulte. Même si bébé « maltraite » son doudou, même s’il est tellement abîmé que nous adulte ne le reconnaissons plus, bébé l’aime inconditionnellement. Et s’il l’agresse, cela montre l’intensité des émotions qu’il ressent et le doudou est un bon objet pour apprendre à comprendre et gérer ses émotions. Ce n’est pas tant l’objet en tant que tel qui est important pour l’enfant mais bien ce qu’il représente. Ainsi, la façon dont bébé investit son doudou a du sens : il dit quelque chose de la qualité des relations et des échanges que le bébé a avec ses parents, les adultes et le monde extérieur.

Après le doudou : l’art, la musique, le rêve…prennent le relai

Si un tout-petit ne peut jamais se séparer de son doudou, même au point de ne pas vivre des expériences avec les autres, il est inutile et même délétère de supprimer son doudou. Il s’agira plutôt de se poser des questions sur l’état affectif de l’enfant et de son environnement.

L’enfant se désintéressera de son doudou en grandissant. Il n’y a pas d’âge précis, et l’entrée à l’école par exemple n’est pas une échéance. L’enfant va apprendre à se passer de ce support concret au fur et à mesure qu’il développera ses capacités internes de réflexion et de mentalisation. L’être humain est sans cesse en train de construire et reconstruire le monde dans lequel il évolue. Et l’art, la musique, le jeu symbolique ou le rêve aideront l’enfant après doudou.

Cette chronique vous est proposée par Mariannick Lottin.

Mariannick Lottin est psychologue de l’enfant et de l’adolescent à l’Hôpital du Bon Sauveur. Elle vient par ailleurs de créer une activité libérale spécialisée dans l’accompagnement à la parentalité sur Albi : « Les ateliers bébé zen ». Animatrice en baby yoga certifiée par Graine de massage, elle souhaite aider les parents et futurs parents à créer un lien précoce avec leur bébé et propose de nombreux ateliers parents-enfants (ateliersbebezen).

Crédit photos : Pexels